Les Français, la montée de l’insécurité et “l’ensauvagement” de la société : mythe ou réalité ?

Temps de lecture : 6 minutes
Par : Équipe Avostart
Mis à jour le 07/09/2020

Dans une interview accordée au Figaro le 24 juillet, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin déclare : « Il faut stopper l’ensauvagement d’une partie de la société ». Des mots choisis par l’homme politique, qui continuent de faire réagir. Notamment le ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti qui les a commentés lui aussi, les estimant inappropriés, car “développent un sentiment d’insécurité”. L’Ifop s’associe ainsi à Ekie, plateforme d’assistance juridique, afin de rebondir sur cette polémique, mais également de dresser un état des lieux de la gestion du gouvernement actuel en matière de justice et de lutte contre l’insécurité.

La position des Français face à l’utilisation de l’expression “ensauvagement”

En ce qui concerne l’utilisation du terme “ensauvagement” pour qualifier l’évolution de la violence et de la délinquance en France, 70% des Français l’estiment justifié. Parmi eux, on observe quelques distinctions en fonction du bord politique notamment chez les Républicains et les sympathisants de La République En Marche (85%), plus nombreux à accepter ce terme. Devant le parti RN (83%), écologie les verts (61%), le parti socialiste (59%) et les sympathisants de la France insoumise (47%).

Proportion de personnes jugeant le terme "ensauvagement" par proximité politique

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin a utilisé le terme “ensauvagement” pour désigner la montée de la violence et de la délinquance en France, provoquant des réactions partagées chez les Français. On observe toutefois que l’opinion publique a peu évolué en une vingtaine d’année, si l’on se réfère à la polémique autour de l’usage de ce même terme utilisé en 1999 par Jean-Pierre Chevènement : 30% trouvent ce terme “pas assez dur” (contre 29% en 1999), 42% estiment qu’il est utilisé “à la juste mesure” (contre 41% en 1999) et 19% le trouvent “trop dur” (contre 15% en 1999).

Jugement sur les termes "Sauvageons" et "Ensauvagement"

La position des Français dans la polémique entre les ministres Dupond-Moretti et Darmanin

Lorsque les Français sont interrogés sur l’action du gouvernement actuel, 29% estiment que le bilan est plutôt positif en matière de justice et 27% en matière de lutte contre l’insécurité. Jamais le bilan de l’action du gouvernement Macron en la matière n’a été aussi mauvais aux yeux des Français :  37% le jugeaient positif en 2018 et 35% en 2019. De même en ce qui concerne le domaine de la lutte contre l’insécurité, validée par 41% des Français en 2018 et 32% en 2019.

Sondage bilan d'Emmanuel Macron depuis son élection en matière de justice et d'insécurité

En termes de personnalités, les Français ne tranchent pas pour autant le duel entre les ministres de l’Intérieur et de la Justice qui obtiennent un niveau d’approbation strictement identique : autant de Français se disent proches des positions d'Eric Dupond-Moretti (19%) que de celles de Gérald Darmanin (19%), sachant que le reste des Français ne se reconnaissant ni dans l’un ni dans l’autre sur ces sujets (43%) ou ne se prononcent pas (19%).

Sondage sur l'adhésion aux positions du gouvernement en matière de sécurité

La divergence d’opinion s'observe plus amplement lorsque l’on compare le bord politique des répondants : si les sympathisants de la France Insoumise (32%), du Parti socialiste (40%) et les verts (28%) sont plus en accord avec les positions d’Eric Dupond-Moretti, à l’inverse, les partisans de la République En Marche (44%), et les Républicains (41%) s’accordent avec les positions de Gérald Darmanin. Enfin, les sympathisants RN sont plus nombreux (65%), à ne se rallier ni à l’une, ni à l’autre des positions.

La position des Français face à l’action de la justice et au laxisme judiciaire

En matière de justice, les Français expriment leur mécontentement, et ce depuis plusieurs années. En effet, la proportion de Français considérant les juges en France comme n’étant pas assez sévères ne fait qu’augmenter : 51% en 2011, 62% en 2014 et 73% aujourd’hui, soit une hausse de 22 points. Une opinion majoritairement partagée par les sympathisants RN qui sont 84% à estimer que les juges en France sont trop laxistes.

Sondage d'opinion sur la sévérité des juges en France

Plus en détail, ce sont les crimes sexuels (87%), les agressions physiques contre les personnes (86%), et la récidive qui mériteraient plus de sévérité selon les Français. Devant le trafic de drogue (75%), la délinquance des mineurs (74%), les affaires politico-financières (74%), le grand banditisme (74%) et la petite délinquance (67%). Un point de vue largement partagé par 86% des sympathisants RN et 96% des Républicains.

Sondage sur la sévérité des jugements et peines prononcés par la justice française

Le point de vue de François Kraus, Directeur du pôle Politique/Actualité de l’Ifop

L’approbation massive du vocabulaire martial du Ministre de l’Intérieur est une forme de désaveu pour la ligne défendue par Éric Dupond-Moretti et plus largement une marque d’indifférence aux connotations de « racisme » accolées par certains à ce mot. Sur ces questions d’insécurité, un net décalage apparaît donc entre une majorité de Français indifférents à l’égard des querelles sémantiques agitant le « microcosme » pour qualifier ces problèmes et une grande part des acteurs de la vie politique et intellectuelle qui ont pris leur distance envers un lexique popularisé par l’extrême droite.

Force est de constater que cette banalisation du mot « ensauvagement » au sein de l’opinion est une victoire sur le plan sémantique de la droite radicale sur les questions de sécurité, et ceci au regard d’une « hégémonie culturelle » tous les jours renforcée par l’écho qu’en donnent désormais les réseaux sociaux et les chaînes d’information. Mais le quasi consensus observé dans toutes les catégories de la population à son propos donne l’impression que pour les Français, qu’importe d’où vient le cri d’alerte, l’important est d’éteindre l’incendie.

Étude Ifop pour Ekie réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 3 au 4 septembre 2020, auprès d’un échantillon national représentatif de 1.003 personnes âgées de 18 ans et plus.

Vous pouvez télécharger l’intégralité du PDF de l’enquête via ce lien.